De vieux souvenirs, vieux comme s’ils dataient d’une autre époque, d’une époque d’avant ma vie et pourtant ce sont les miens, ces souvenirs. Ni douloureux, ni plaisants. Comme un film dont on se sent étranger. Dont le scénario nous laisse indifférent. Ça ne remonte qu’à la moitié de ma vie, mais cette moitié semble si improbable. Comment le temps a-t-il pu passer de la sorte? Aurais-je pu penser que ma vie serait si longue qu’il me semblerait un jour qu’elle a durée toujours? Et qu’au même moment, ce qui m’avait jusqu’à maintenant semblé interminable serait si éphémère? Ce retour sur les lieux de mon enfance, peu après l’annonce de cette maladie et de ma fin présumée proche, me rappelle l’animation qui régnait dans cette rue quand j’habitais encore la maison familiale. Les voisins, les amis, les parents et la parenté. Les allées et venues de la routine de chaque foyers. Le retour de l’école à la fin de la journée, les balades en vélos tôt le printemps juste après la fonte des neiges, les soirées crevantes d’été à chercher sommeil, la côte qui mène à la rue difficile à monter, surtout l’hiver dans la neige… Ça me semble flou cependant que des détails oubliés depuis lors refont surface comme des feux d’artifice. La porte qui sifflait par grands froids, le vieux bbq oublié dans le coin du terrain derrière la maison, les oiseaux qui faisaient leur nid dans un trou de la corniche, les fleurs sauvages qui poussaient le long de l’allée… D’autres ménages nous ont remplacé. Les couleurs des maisons ont changé ici et là. Les voitures évidemment. Il ne reste plus rien de ce moi d’avant. Je marche lentement en laissant ses images me revenir. La vie est un cycle, je ne peux que le constater. Qu’aurais-je fait autrement si j’avais su? À quoi bon me poser cette question maintenant. Pour le peu qu’il me reste, je remarcherai quelques pans de ma vie au ralenti et je visiterai ceux qui me sont chers avant de m’éteindre. Je ferai la paix avec moi-même. Je ferai, je présume, ce que font la plupart des gens en ces circonstances.